PACIFISTES

Nuage Vert, association culturelle et artistique d’Argentat-sur-Dordogne (Corrèze), vient de publier un très beau livre relié, avec des illustrations rares : 410 pages de pacifisme, avec plusieurs chapitres où il est intégral. Merci à Laurent Gervereau, un ami fidèle de Cabu !

« Le passé de la guerre et l’avenir de la paix » contribution du professeur de médecine Charles Richet, décortique au scalpel tous les maux patriotiques : « stupidité, férocité, immoralité, bestialité, meurtre à grande échelle ». Les pacifistes : les vrais bienfaiteurs de l’humanité !
L’antimilitarisme (la haine de l’armée, bourreau des prolétaires, école d’esclavage, de corruption et de bêtise) se trouvait très répandu dans les milieux anarchistes, influents avant 1914 au sein de la CGT, créée en 1895 à Limoges.
Le pacifisme de Léon Tolstoï (1828-1910), le refus de tuer en quelque circonstance que ce soit, se développe dès 1878. Objectif : faire fraterniser l’humanité.
L’espéranto est soutenu par Romain Rolland (1866-1944), prix Nobel de littérature 1915 : « La guerre est le fruit de la faiblesse des peuples et de leur stupidité ». Il anticipe 2024, l’époque de l’oreille cassée : « pour que les peuples s’entendent, il faut d’abord qu’ils entendent. Que l’espéranto rende l’ouïe à ces sourds, dont chacun, depuis des siècles, est muré dans son langage. » Christian Lavarenne souligne qu’il convient d’entreprendre l’union des humains par le commencement : le dialogue sincère.
L’espéranto est, bon gré mal gré, la première pierre du vaste changement monumental dont nous rêvons. Apprendre la langue anationale est la mission commune qui se présente à chacun. La première campagne majeure de l’Internationale des résistants à la guerre (fondée en 1921 sous le nom de Paco : paix en espéranto) sera le Manifeste contre la conscription, rédigé par Herbert Runham Brown et signé par Einstein, Gandhi, Russell…
L’organe officiel des ligues allemandes et autrichiennes d’espérantistes catholiques, Blanka Kruco représente la croix dessinée en relief sur les hosties et la couleur du drapeau blanc, en référence à l’emblème de la Croix Rouge.
En 1907, à Bruxelles, Henri La Fontaine (1854-1943) préside le Bureau international de la paix, à la création duquel il a contribué en 1891 (avec, entre autres, Bertha von Suttner). Son action par le droit, l’égalité et la connaissance, lui a valu le prix Nobel de la paix en 1913, précise Jacques Gillen, du Mundaneum.
Henri Barbusse (1873-1935), prix Goncourt 1916, dévoile les tares, turpitudes et crimes du militarisme : « L’imposture est une institution d’État. La faillite de la justice et le triomphe de la barbarie des généraux assassins et des marchands de cadavres. »
Ligue des femmes contre la guerre (1921), où Madeleine Vernet se trouve à l’avant garde des associations absolues, qui ne veulent plus jamais voire ça : elles refusent toute légitimité à l’armée, la renvoyant dans les foyers.
En 1938, la Ligue des femmes pour la paix se créée avec Jeanne Halbwachs, disciple du philosophe Alain, qui tient au pacifisme intégral au point de quitter la LIFPL.
En 1931, Victor Méric (1876-1933) fondait la Ligue internationale des combattants de la paix, ancêtre de l’Union pacifiste, avec 20 000 membres en 1933. Elle lutte contre la guerre civile espagnole dans son journal vigoureusement antifasciste La Patrie humaine.
Michel Auvray rappelle le rôle des refus d’obéissance individuels ou collectifs, des mutineries de 1917, des désertions (nombreuses lors des permissions). D’après le dépouillement des comptes rendus sur le recrutement de l’armée, il y a eu 10 079 insoumis en 1914 et 15 578 en 1915. Plus de 80 % restaient introuvables. Ils ne furent rayés des registres militaires qu’à 53 ans révolus. « Au total sur l’ensemble de la Grande Guerre, la gendarmerie a arrêté 66 678 déserteurs à l’arrière. » Ce rôle abject des Pandores préfigure les rafles de juifs, les ratonnades d’arabes, les nasses de gauchistes…
L’amnistie des déserteurs n’interviendra que par la loi du 16 juillet 1974, soit 56 ans après la fin du conflit !
Eugène Humbert (1870-1944), néo-malthusien, mari de Jeanne Humbert (1890-1986, bien connue à l’UPF), insoumis réfugié en Espagne, est arrêté en 1921 et condamné à 5 ans de prison. Émile Bauchet (1899-1973), fondateur du CNRGO en 1958, et Eugène Guillot (1905-1978), trésorier du groupe des Amis de Sébastien Faure en 1968, maçons clandestins, ne seront incarcérés qu’en 1929.
Au moins ils n’étaient pas des 1,4 millions de tués au combat, des 3 millions de blessés (dont le tiers d’invalides). Les 700 000 veuves et 800 000 orphelins seront-ils déterminés d’empêcher une nouvelle guerre ?
Afin de faire diminuer l’antimilitarisme, la garde républicaine est formée en 1921, pour réprimer, à la place de l’armée, grévistes et manifestants…
Pour le droit à l’objection de conscience, la Suède a été le premier pays à le reconnaître, en 1902. Suivie de l’Australie en 1903 et de l’Afrique du Sud en 1912. Le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis ont pris des dispositions pour la reconnaissance du droit au refus de tuer, pendant la Première Guerre. Imités par l’URSS, les Pays-Bas et la Norvège. La France, à l’arrière-garde du progrès humain, n’a accordé un statut qu’en 1963, après la grève de la faim de Louis Lecoin (seule loi dont la publicité était interdite).
Opposé même à un service non armé qui serait dû à l’État, Alphonse Barbé (1885-1983), marchand forain libertaire, consacre deux numéros spéciaux « objection de conscience » dans son journal Le Semeur contre tous les tyrans, en janvier 1932 et février 1934.
Nicolas Faucier (1900-1992), quartier maître mécanicien, solidaire des mutins de la mer Noire en 1919, animateur de la Solidarité Internationale Antifasciste et ami de Lecoin, fut insoumis en 1939.
Henri Roser (1899-1981), pasteur, avait été révoqué de son grade d’officier pour avoir renvoyé ses papiers militaires en 1923. Il était un membre fondateur du Mouvement international de la réconciliation (et de l’UPF jusqu’à sa mort).
En 1930, Gérard Leretour (1909-1990), déserte en Belgique (ami de Hem Day et Léo Campion, premiers objecteurs belges). Il fonde, en 1933, la Ligue des objecteurs de conscience (section de l’IRG) qui refuse tout concours aux tueries collectives.
Les caricaturistes se déchaînent (comme dans Le Canard enchaîné) contre le service militaire, machine à humilier la jeunesse, aux mains d’officiers et sous-officiers idiots, vulgaires, sadiques. Robert Fuzier (1898-1982), prisonnier en Allemagne (1916), dessine dans le quotidien Le Soir (1928), puis au Populaire (1931). Ardent partisan du désarmement, il croque l’industriel Schneider en marchand de canon.
Pour le peintre aquarelliste et humaniste Gaston Prunier (1863-1927), la guerre ne s’interrompt pas comme par magie avec le grondement des canons. Ayant vu jeune enfant les massacres de la Commune, il ne supporte pas l’excitation des généraux qui assourdissent la France du bruit des bottes et veulent prendre leur revanche contre les Prussiens.
Pour les grandes plumes, André Philip (1902-1970) était avocat des objecteurs protestants, avant de devenir député socialiste de Lyon en 1936. Pour les défendre, il appelait à la barre : le philosophe Alain, Jean Guéhenno, Marc Sangnier, Félicien Challaye, Jean-Richard Bloch, Julien Benda, Michel Alexandre, etc.
Régis Messac (1893-1945), linguiste, écrivit une thèse sur le roman policier. Auteur de science-fiction, critique, poète, traducteur et pacifiste intégral, il fit de sa vie un combat quotidien contre la guerre, pour la montrer nue, abjecte, stupide et puante. Ces textes pleuvent dru pour plomber l’armée, qui tue toute trace de solidarité humaine. Membre de la LICP dès 1931, avec Félicien Challaye (1875-1967) et Robert Jospin (1899-1990), il s’efforce de remonter « le torrent de la bêtise et de la folie humaine » (in Le Barrage, août 1935).
Les Amis d’Henry Poulaille (1986-1980) évoquent les hauts faits de l’inventeur de la "littérature prolétarienne", un pacifiste viscéral.
Jean Giono (1895-1970), exprime avec véhémence sa haine de la puanteur dictatoriale et son rejet de tous les partis, car « le partisan est obligatoirement un guerrier ». Il n’y a de grandeur que dans l’individu et la liberté. Il n’a besoin que de créer des œuvres d’art pour mieux combattre le militarisme et la patrie. Au Contadour (Alpes de Haute Provence), il fustige ceux qui vont « se faire tuer ou tuer pour rien ! »
Andrée Viollis (1870-1950), journaliste, ne s’habitue pas « à l’atmosphère d’étouffement dans laquelle on vit dans ce palais de la SDN ; tout s’y émousse, s’y édulcore ; les cris de colère, d’indignation ne peuvent libérer ces corps trop gonflés ; les plus grandes tragédies, celles qui entraînent la mort des êtres, des peuples, celles qui évoquent les villes incendiées, les massacres de femmes, d’enfants, la faim, les épidémies, toutes ces horreurs et tous ces crimes se réduisent ici à des phrases châtiées, à des formules grises, ternes, polies, à des formules académiques ou plutôt diplomatiques. » (Ce Soir, 12 mai 1938)
Pour Emmanuel Mounier (1905-1950), « l’énergie seule intimide la violence, […] qui prend toute hésitation pour une faiblesse, toute concession pour un encouragement. »
Le chemin est tout tracé pour abolir l’armée, il n’y a plus que les volontés à rassembler.

René Burget

PACIFISTES, dirigé par Laurent Gervereau est publié par Nuage Vert (nuage-vert.com). Le livre peut s’acheter par carte bancaire sur lulu.com (en version papier livrée à domicile pour 29 €, ou en numérique pour 19 €).


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