Style « télégraphique », Patrick Pécherot a marqué les colonnes d’UNION pacifiste. Univers surprenants éclairés par la captivante tension du polar. L’élagage constant va à l’essentiel. Une cette écriture pleine de musique, de jolis mots, de poésie !
Chacun compose à sa façon ce qui jaillit de son inspiration. Ici, un travail colossal s’appuie sur une très riche documentation historique. Des défenseurs de l’autorité surgissent sous un jour peu flatteur. Un plaisir rare dans la série dite « noire ».
Les personnages transpirent le souci fraternel de l’humain. L’idéal altruiste nuance les jugements. Preuve d’un attachement profond au pacifisme intégral. Quelques rushes à avaler cul sec.
TERMINUS nuit : un journaliste, une bavure policière et le retour de Thomas Meckert. Ce polar démarre en laissant de la gomme sur le bitume. Grève, attentats, cavale. Une référence à Marius Jacob (l’authentique Arsène Lupin) : Mak, marchand forain de livres, a connu ce cœur pur, qualifié de bandit anarchiste.
Le Bec de Gaz, canard de SDF, pas un truc pour curetons. Lancé par quelqu’un qui a tapé au coffre. Là où ça fait mal. À la Société Générale, au Crédit commercial. Quand ils l’ont serré, au procès il leur en a foutu plein la gueule. À sa sortie il a lancé ce journal. Des éditos au vitriol. C’est pour ça qu’il a été tué.
Enquête sur le milieu anar et la guerre d’Espagne. Dans Belleville Barcelone, Nestor, détective privé, au printemps 1938, voit André Breton. D’où la touche de surréalisme. « Le silence sait hurler. Les chants et poèmes côtoient les crimes. La grande tourmente des idées secoue l’usine à rêves. Les uns faisaient leurs dévotions à saint Staline, les autres étaient partis dans les voyages intérieurs. Avec le temps on s’était mis à s’engueuler, à s’exclure, à se détester. S’agissait pas de faire dans la dentelle, non plus, la mitrailleuse devait rester en état de grâce. Mais à force de défourailler tous azimuts, il manquait du monde au rendez-vous des amis. »
Au détour d’un trafic d’armes, destiné aux anarchistes espagnols, apparaît Louis Lecoin. La complicité sanglante entre Franco et Staline, fascistes et communistes, marque ce pacifiste intégral.
L’ENFER DES TRANCHÉES DE 14-18 : le soldat Jonas est accusé d’avoir assassiné son lieutenant en lui tirant dans le dos au cours d’une sortie. Le capitaine Duparc, son avocat devant le tribunal militaire, se décarcasse pour comprendre comment Jonas, surnommé « Tranchecaille », aurait pu violer la discipline, cette prétendue force des armées.
Au 334e régiment d’infanterie, le major Aimé Dupeux, médecin chef et athée, assisté d’une bonne sœur, constate des décès chaque jour dans son « hôpital d’opération et d’évacuation ». Il charcute, tranche, mutile, cautérise à tour de bras. Il baigne sans fin dans le sang. Il récupère ce qu’il croit pouvoir l’être, met fin aux souffrances des corps déchiquetés qui lui sont amenés. Cherchant les blessés dans la boue des no man’s land, les brancardiers ont bien plus de courage que les officiers « supérieurs ».
Planqués à l’arrière, les généraux restent des assassins en très grande série. Une charge à bride abattue contre l’armée !
Salués au passage, les Quakers qui refusent en toutes circonstances de porter une arme. Exemplaires de douceur, ils tâtent la paille des cachots, mais montrent la poutre dans l’œil des militaires.
Le Canard enchaîné naît en 1917, contre la grossière propagande des terroristes patriotards. Il chasse les fausses nouvelles, remue, d’une plume et d’un bec imparables, là où pue l’hallucinante bêtise des gradés.
Le prévenu Jonas est condamné d’avance par le colonel de Guiches, sans le moindre élément de preuve. Tous ces coups de baïonnettes forcent à devenir pacifiste !
1913
Communautés, insoumission, végétarisme et fausse monnaie : des survivants de la bande à Bonnot font trembler le bourgeois. André Soudy, héros du roman L’homme à la carabine, est en compagnie de ceux qui font un bras d’honneur au service militaire. Il souffre d’une aversion chronique pour marcher au pas. Ces réfractaires bouffent du curé, malgré leur régime sans toxines animales. Ils tètent l’insoumission dans les colonnes de L’anarchie. L’homme naît libre, au nom de quoi la société lui imposerait-elle des lois ?
Jardinage, propagande, diététique, amour libre, hygiénisme, espéranto, entraide, combines et fausse monnaie. Tolstoï, Ibsen, Mirbeau, Rabelais... fleurissent les murs. « Les hommes passent la moitié de leur vie à se forger des chaînes et l’autre moitié à se plaindre de les porter. » Un patron s’engraisse sur le dos d’ouvriers qui se tuent au travail : quand des exploités récupèrent ce qu’on leur a volé, c’est juste.
La vie se cueille comme les prunes. Les arbres sont à tout le monde. Merde aux clôtures, merde aux gardiens, merde aux problocs ! La carabine, instrument de récupération. Les flics, ennemi à abattre. La prime de capture, une misère pour les fonctionnaires si prodigues des deniers de l’État. Le sang des ouvriers, les morts au travail, les gueules noires silicosées, les emmurés vifs... n’empêchent pas de dormir flics et bourgeois.
Enfoncé Zola : les cancéreux entassés dans des taudis, tubards à 20 piges, vioques prématurés errants dans les hospices, vérolés de la misère, alcoolisés, sans travail, mendigots, forçats pour un pain, quel hideux cortèges de brutes humaines ! Contre les voleurs de vies : la colère.
Pour un abject flic crevé, des milliers d’autres continuent de harceler les pauvres. La disparition d’un membre de la police : un début réjouissant !
Géo (Brassens) déteste le sang versé, mais, traqué, il aurait risqué le bagne pour vous secourir. Ce pacifiste assassine les poulets en chansons. Il « les adore sous la forme de macchabés. » Il crie « Mort aux vaches, mort aux lois, vive l’anarchie ! »
Les amis d’Eugène Bizeau (doyen des pacifistes mort à 106 ans) et de la Muse rouge, ont la bouche pleine de poèmes. Pour André Soudy, « Pas assez méchant » avec l’ordre établi : les troupeaux passifs se réveillent à coups de pétoires.
En bande, les pandores cognent dur. Beignes, coup de matraque pleuvent. Quand ils ne savent plus où donner du poing, ils y vont aux croquenots et aux chaînes. À demi étouffé, l’insoumis rugit encore.
Une meute de 10 000 hommes monte à Choisy-le-Roi à l’assaut du seul Jules Bonnot. La bicoque est détruite à l’explosif. Enroulé dans un matelas, il défouraille même après l’ultime charge. Il a écrit au sol avec son sang : « Tout homme a le droit de vivre. Et puisque votre société imbécile et criminelle prétend me l’interdire, eh bien tans pis pour elle ! » La peur a été si énorme que 50 000 curieux viennent y grappiller un souvenir...
Boris Vian, avec La Java des chaussettes à clous ou Les Joyeux Bouchers, s’en souviendra. Au coin d’un chapitre, surgit le pavillon (à Asnières) du doux poète anarchiste et pacifiste Maurice Laisant (1909-1991).
COMMUNE DE 1871 : des amis s’insurgent. Une plaie ouverte. Accepter de porter une arme entraine les bains de sang. L’histoire officielle occulte la désobéissance. Ces deux mois de liberté soufflent encore aujourd’hui comme une tempête libératrice.
Les communautés de pionniers prophétiques parsèment ces cieux étoilés et magiques : Saint-Paul, Pierre-Joseph Proudhon, John Brown, dissolvent races, propriétés, esclavage. Le Voyage en Icarie (Victor Cabet), le phalanstère texan (Victor Considérant), l’indien Sitting Bull, le poète Walt Whitmann, autant d’exemples inoubliables !
Encore eux, les Quakers, libres, égaux et pacifistes tutoient les rois. En créant la Pennsylvanie, ils « Bannissent armée, pistoleros et fusils, ils ont mêlé leur tabac à l’herbe des calumets dans la douceur de la paix. Les Indiens ne toucheraient pas à un cheveu de leurs scalps. Diderot les tenait pour un peuple ˝grand, plein d’intelligence et de sagesse˝, Voltaire aimait leur ˝gouvernement sans prêtres˝ et les anarchistes en font de lointains cousins. »
En 1871, bon Dieu a du mouron à se faire : aurait-il trop fumé d’encens ou croqué dans le veau d’or ? Sous le tonnerre de Paris, tiares, crosses et trônes fondent dans les moules à canon. Le bourgeois dévot chie dans son froc en entendant : « la terre au paysan qui la cultive, la mine au mineur qui l’exploite et l’usine à l’ouvrier qui la fait prospérer ».
Cerises en pendants d’oreilles, la République universelle, le monde à refaire par les citoyens, autant de mots bien sentis, définitifs et fraternels préparant l’âge d’or.
Les caricaturistes aux cent procès croquent les silhouettes, sèment rimes et bons mots qui terrorisent le pouvoir.
Louise Michel affranchit les petites cervelles (femelles ou mâles), les nourrit du beau et du bon, les libère de l’ignorance. La machine administrative et gouvernementale de l’État devient impuissante : la Commune l’abolit en toute logique.
Bakounine boit du petit lait. Le peuple rend la justice ! Il a tant vu de cadavres qu’il prône la joie du désarmement, chante et rit. La guillotine est brûlée dans les hourras : À bas Thiers, à la santé de la tabatière ! Les Napoléon, pourvoyeurs de charniers, fossoyeurs de Républiques, sont déculottés.
La colonne Vendôme abattue, Courbet imagine à sa place une statue de la Paix. « Une femme aux puissantes mamelles foulant à ses pieds des canons et des lances. »
Chaque vie comme œuvre d’art. La poésie se déguste au quotidien. Le beau est partout : dans les gestes les plus rudes, le travail, la terre, la monnaie nouvelle. Spéculation, boursicotage, déboulonnés comme la colonne Vendôme. L’argent redevient outil d’échange. Sain, honnête et tope là, compagnon !
Le rideau de la tragédie tombe en mai 1871. Gendarmes et prévôts décapitent. Les cours martiales tournent à plein. Les galonnés, raides comme des cravaches, crachent les sentences : Quand la terre est gorgée de trop de morts, on les brûle. Os et chairs pètent. Ça craque. La pestilence écœure. Ne décolle plus. Le fumet de macchabé pénètre les vivants.
Reste la culture au ras des écrase-merde. Fuite des ailes de géants. Selon des argousins fouinards, Arthur Rimbaud embarque à Marseille pour l’Afrique. « Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer ! » (Le Bateau ivre).
Hevel, mot emprunté à l’Écclésiaste. Autre réalité absurde, illusoire, éphémère, celle de la guerre d’Algérie. La route de la désertion passe par le Jura pour trouver l’asile en Suisse. Le parallèle avec les djebels s’impose. Règlements de comptes, couardises, instinct de survie, résistance à la guerre, ne concernent pas les seuls civils algériens (tous des fellaghas pour les colons racistes et leurs troupes ignares).
Veulerie de gendarmes en chasse, affolés par un fourré agité par le vent. Précision d’horlogerie et bravoure à couper le souffle de ceux qui refusent de tuer.
René Burget